Publié le 23/09/2020

"Les Aract ont un rôle à jouer pour anticiper les évolutions des organisations" après la crise (Y.-M. Nalbandian, Paca)

INTERVIEW Marie-Pierre Vega AEF info

Avec la crise du coronavirus, "les enjeux d’organisation du travail et de management deviennent des enjeux de premier plan", souligne Yves-Michel Nalbandian, dans un entretien réalisé le 29 juillet 2020 avec AEF info à l’occasion des 30 ans de l’Aract Paca. L’association qu’il dirige depuis 22 ans aura "un rôle à jouer pour anticiper, accompagner ces évolutions radicales" induites notamment par le développement du numérique et du télétravail. Yves-Michel Nalbandian revient sur l’intérêt de "l’approche globale" des conditions de travail défendue par les Aract, depuis le diagnostic court des années 90 jusqu’au développement de la qualité de vie au travail ces dernières années. Le délégué régional explique aussi comment le dialogue social a toujours constitué "un sujet à part entière" et pourquoi la négociation collective est appelée à "jouer un rôle central".

 

AEF info : L'Aract Paca, que vous dirigez depuis 22 ans, fête ses 30 ans cet été. Comment les Aract ont-elles fait évoluer leur approche des conditions de travail au cours de ces trois décennies ?

Yves-Michel Nalbandian : Les évolutions peuvent s'apprécier sous plusieurs angles. D’abord celui des méthodes. Jusqu’en 1998, le "diagnostic court" était quasiment notre unique réponse. L’entreprise nous demandait un appui sur un problème identifié : absentéisme, accidents du travail… On lui proposait un format en cinq jours, en participatif, qui débouchait sur des constats et des pistes d’évolution, et une mise en discussion au sein de l’instance représentative, en général le CHSCT. Il y avait peu d’accompagnement post-diagnostic. Puis, nous avons été percutés par la réforme de la réduction du temps de travail. L’Anact est devenu l’opérateur public de référence, nous avons été assaillis de demandes d’organisations privées de toutes tailles. Nous n’avions pas les forces nécessaires pour continuer à faire des diagnostics individuels. Nous avons donc décidé de lancer des actions collectives sectorielles qui, après avoir suscité de grands débats en interne, sont devenues un mode d’action partagé par toutes les Aract.

Du point de vue des thématiques d’intervention, nous avons toujours prôné une approche globale, que le diagnostic court mettait bien en avant. Mais certaines priorités des politiques publiques ont pu contribuer à présenter notre action sous un angle thématique plus restreint : le document unique, la GPEC, les RPS… À partir des années 2010 et l’ANI de 2013, nous avons pu remettre en avant cette approche globale grâce à la qualité de vie au travail. Celle-ci permet de mettre en cohérence des actions dispersées dans le champ du social tout en définissant des priorités de manière concertée. Enfin, quasi inexistants en 1998, nos partenariats se sont structurés et élargis. Aucun projet aujourd’hui ne démarre sans prendre en compte la dimension partenariale. 

 

AEF info : Vos champs d’intervention sont-ils plus larges qu’à la création des Aract ? 

Yves-Michel Nalbandian : L’approche globale que nous continuons de pratiquer intègre toutes les dimensions du travail et de ses conditions. Aussi, je dirais que nos champs d’intervention ne se sont pas élargis. En revanche, ce qui change, c’est que nous vivons dans un contexte de transformation permanente. Ce n’était pas aussi prégnant dans les années 1990. Il n’y a aucune chance aujourd’hui pour qu’une organisation reste stable au-delà d’une ou deux années, ce qui génère de nouveaux enjeux autour des conditions de travail. Une des difficultés majeures réside dans la nécessité d’expliquer de manière continue aux salariés ce qui se joue dans ces transformations. Dans les années 2010, il y a eu un énorme déficit en la matière. Le niveau d’information et de communication en direction des salariés a été trop faible. Il en a certainement découlé une augmentation des risques psychosociaux. C’est pour cela que nous avons beaucoup défendu l’intérêt de la QVT devant nos conseils d'administration. Elle permet d’être moins en réaction et plus en anticipation.

 

AEF info : L’Anact et son réseau accompagnent aujourd’hui la mise en place des CSE. Le dialogue social est-il devenu un sujet à part entière des Aract ?

Yves-Michel Nalbandian : Le dialogue social a toujours constitué un sujet à part entière. C’est un élément fondamental de l’approche globale du travail. Mais c’est un sujet qui s’est étendu à travers le spectre élargi de nos actions : le dialogue social de branche quand nous avons développé les actions collectives ; la mise en place des CSE qui oblige les instances représentatives du personnel à réfléchir aux nouvelles règles du jeu, investir le champ de la négociation et chercher un appui technique que nous ne sommes pas nombreux à proposer. Avec la QVT, nous avons aussi poussé la notion d’accord de méthode qui donne des garanties collectives sur la mise en place du projet.

 

AEF info : Comment voyez-vous le rôle des Aract dans la crise que nous vivons ? Nous avons assisté à une modification brutale des conditions de travail, est-ce durable ? Comment accompagner cette évolution ?

Yves-Michel Nalbandian : De toute évidence, les enjeux d’organisation du travail et de management deviennent des enjeux de premier plan. Il va y avoir un avant et un après Covid. Le fonctionnement des organisations va être durablement transformé. On le voit bien avec le numérique, qui s’est considérablement développé et rend obsolètes certaines formes d’organisations impliquant des déplacements, ou avec le télétravail. De grands groupes annoncent sa généralisation, ou en tout cas son maintien en prévision d’une deuxième vague épidémique. Qu’est-ce que cela veut dire en termes de cohérence d’équipe et d’action, de postures de management ?

YM.NALBANDIAN

       "La question de la préservation des trajectoires professionnelles ne doit pas être oubliée

dans les négociations sur le télétravail qui vont s’ouvrir"

 

Les Aract ont un rôle à jouer pour anticiper, accompagner ces évolutions radicales, et éviter les situations dégradées. Par exemple, on se souvient de l’enthousiasme pour les open spaces. Or ils ont surtout consisté à gagner des mètres carrés en générant beaucoup de difficultés pour les salariés. Une petite voix me dit qu’on va peut-être assister à la même séquence avec le télétravail. On n’en voit actuellement que les aspects sympathiques d’une réponse à une situation. Mais comme toutes les évolutions, cela nécessite un peu de réflexion et d’expérimentation. Il faudra être vigilant, en particulier pour les femmes. Quel sera l’impact du télétravail sur leur évolution professionnelle ? Elles sont déjà celles qui subissent majoritairement le temps partiel, avec les conséquences que l’on connaît. Cette question de la préservation des trajectoires professionnelles ne doit pas être oubliée dans les négociations sur le télétravail qui vont s’ouvrir.

 

AEF info : Le risque sanitaire est revenu sur le devant de la scène, comment le prendre en compte ?

Yves-Michel Nalbandian : Il nous faut l’intégrer dans nos actions de pilotage. Par exemple, nous allons démarrer deux actions de QVT. On va regarder quelles sont les mesures sanitaires mises en place dans l’entreprise. Avant le Covid-19, nous n’aurions pas vraiment considéré ce risque. Aujourd’hui, il va de soi qu’un employeur ne peut plus faire l’impasse et doit s’interroger sur la manière dont ses salariés sont exposés au risque sanitaire, les mesures de prévention à prendre et leur application.

 

AEF info : Comment les Aract peuvent-elles continuer à accompagner les évolutions du monde du travail ? Quels sont les sujets émergents selon vous ?

Yves-Michel Nalbandian : Il y a un sujet autour des questions de cohésion d’équipe et de pratiques managériales dans un monde du travail éclaté en une multitude de situations individuelles, un phénomène que le télétravail risque d’amplifier. Comment une organisation va-t-elle générer un collectif de travail quand celui-ci est fragmenté d’un point de vue spatial, statutaire, de temps de travail… ? Qu’est-ce qui lie les personnes entre elles ? Leur mission ? Encore faut-il qu’elle soit claire, ses évolutions expliquées et accompagnées.

La négociation collective va jouer un rôle central dans ces questions, car c’est elle qui permettra de donner aux salariés des garanties collectives. Il faudrait la renforcer et là encore, les Aract ont un rôle à jouer, en particulier dans les PME où la négociation collective est encore peu développée par les acteurs, souvent pas assez outillés.

Marie-Pierre VEGA AEF info

Dépêche n° 632567, publiée le 04/08/2020 à 11h44 « Reproduite avec l’aimable autorisation de l’Agence de Presse AEF info ».

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